La victime décède avant que la Cour d’appel ne statue
La Cour de cassation (chambre criminelle, 13 nov. 2013, RCA, févr. 2014) a rappelé un principe majeur en matière d’indemnisation : l’évaluation du préjudice doit être faite au jour où le juge statue. C’est au visa de cette règle que la Cour suprême a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Colmar. En l’espèce, la victime d’un accident de la route obtient, entre autres postes de préjudice, la réparation en 1re instance de son déficit fonctionnel permanent. Un appel est interjeté et la victime décède avant que la Cour d’appel ne statue.
L’assureur débiteur de l’indemnisation prétend alors réduire le montant de l’indemnité réparant le déficit fonctionnel permanent au regard de la durée de survie de la victime après la consolidation. La Cour d’appel de Colmar refuse de valider ce mode de calcul et entre en voie d’indemnisation sans tenir compte du décès intervenu. La Cour de cassation casse son arrêt aux motifs que si le droit pour la victime d’obtenir réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été causé, l’évaluation de ce préjudice doit être faite par le Juge à la date où il se prononce. Par suite, en cas de décès, il faut en tenir compte pour la détermination des postes de préjudice permanents (postérieurs à la consolidation) et appliquer une réduction prorata temporis.
Dura lex, sed lex…
Le préjudice d'accompagnement
Parmi les préjudices extrapatrimoniaux (qui indemnisent la seule incidence d’un accident sur le plan personnel) des victimes indirectes (les proches), existe aujourd’hui le préjudice d’accompagnement qui constitue un préjudice autonome, indemnisable en tant que tel. Autrefois rattaché au préjudice d’affection qui répare le préjudice moral éprouvé par les proches confrontés à la souffrance d’une victime lourdement handicapée ou décédée, ce poste de préjudice distinct a pour objet d’indemniser les troubles et perturbations dans les conditions d’existence d’un proche. La Haute Cour (2ème chambre civile, 21 nov. 2013, Gazette du Palais, 22-23 Janv. 2014) a précisé les conditions d’indemnisation de ce préjudice atypique. Il n’est possible d’en solliciter la réparation que si les proches démontrent qu’ils partageaient habituellement une communauté de vie effective avec la personne décédée à la suite de l’accident ou, en cas de survie de la victime, si ces mêmes proches établissent avoir partagé avec cette dernière une communauté de vie effective et habituelle, que ce soit à domicile ou par de fréquentes visites en milieu hospitalier. En d’autres termes, la communauté affective doit être effective.
Incidence professionnelle des victimes
La Cour de cassation a eu l’occasion d’affiner les contours de l’incidence professionnelle, poste de préjudice qui vise à réparer, en parallèle de la perte de revenus éprouvée par la victime avant (« perte de gains professionnels actuels ») ou après la consolidation (« perte de gains professionnels futurs »), les incidences périphériques du dommage sur le plan professionnel, telles la pénibilité accrue au travail, la dévalorisation, la perte d’une chance de promotion…
• Dans une 1re décision (2ème chambre civile, 21 nov. 2013, Gazette du Palais, 23-24 mars 2014), elle a ainsi indiqué que l’incidence professionnelle doit être indemnisée même en cas de reconversion professionnelle. La motivation de l’arrêt est claire et précise : « l’incidence professionnelle doit nécessairement être reconnue et indemnisée, qu’elle soit totale ou partielle, et ce, en dépit de l’exercice par la victime d’une activité professionnelle différente de celle précédemment exercée ».
• Dans une 2ème décision (2ème chambre civile, 16 janv. 2014, pourvoi n° 12-35355, Gazette du Palais, 23-256 févr. 2014), la Cour suprême a précisé que l’incidence professionnelle de la victime est distincte des pertes de gains subies par la société créée par cette dernière. En l’espèce, la Cour suprême a validé un arrêt d’appel qui avait indemnisé un chauffeur de taxi, victime d’un accident de la route, de ses propres préjudices (notamment une incidence professionnelle) et octroyé, en complément, à la société dont il était le gérant la réparation d’une perte économique distincte. Cette solution est évidemment transposable à toutes les situations dans lesquelles une victime subit une perte de gains professionnels (actuels ou futurs) et une incidence professionnelle, le cumul de ces postes de préjudice étant possible.
• Enfin, dans un dernier arrêt (2ème chambre civile, 16 janv. 2014, pourvoi n° 13-10566, Gazette du Palais, 23-25 févr. 2014), la Haute Cour a autorisé un mineur, qui envisageait de reprendre l’activité de ses parents (forains), les aidant déjà dans leur exploitation et se formant à son futur métier, à solliciter, en raison des séquelles de son accident (cécité), une indemnisation au titre de l’incidence professionnelle, tenant à la perte de chance de reprendre avec succès le métier des parents (renoncement à un projet professionnel).
Le préjudice économique des victimes
En matière de préjudice économique, un arrêt de la Cour de cassation (chambre criminelle, 29 oct. 2013, Gazette du Palais, 23-25 février 2014) a réaffirmé deux règles présidant au calcul de ce préjudice.
D’une part, les allocations chômage (ARE par exemple) ne doivent pas être prises en compte dans l’évaluation de ce préjudice.
D’autre part, s’agissant des prestations d’assurance, elles ne peuvent être déduites que dans deux cas :
- soit lorsqu’elles consistent en des indemnités journalières de maladie ou des prestations d’invalidité, ce qui les rend indemnitaires par détermination de la loi (article 29-5 de la loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985) ;
- soit lorsque la prestation est contractuellement servie à titre subrogatoire ou en avance sur recours et donne lieu à un calcul conforme au droit commun.
En l’espèce, les prestations en cause n’étaient ni des indemnités journalières, ni une rente d’invalidité et n’étaient pas plus calculées selon les règles du droit commun : il n’était donc pas possible d’envisager leur déduction.
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